risques climatiques sur l'assurance
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30 April 2025

Changement climatique : comment les risques physiques affectent la non-assurabilité en France ?

Constats, tendances, stratégies d'adaptation et investissements responsables

Authors : Lucie Mauzé

Introduction

En 2024, les sinistres climatiques ont entraîné des pertes pour les assurances estimées à 140 milliards de dollars, marquant la troisième année la plus coûteuse depuis 1980[1]. Soit une augmentation de 17 % par rapport à 2023, qui était déjà en hausse de 17 % par rapport à la moyenne des dix années précédentes[2]

La multiplication des événements climatiques extrêmes fragilise la stabilité du secteur assurantiel et la question de l'assurabilité des dommages climatiques devient alors cruciale. 

Comment les assureurs peuvent-ils continuer à couvrir des zones toujours plus exposées aux aléas climatiques ?  Quel est leur rôle en matière d'investissements responsables ?

L'État doit-il redevenir le payeur en dernier ressort ? Comment les assurances peuvent-elles mieux s’adapter aux risques climatiques  ? 

Si l'adaptation à ces phénomènes est essentielle, il est tout aussi primordial de développer des stratégies d'atténuation en amont. Dans un premier temps, l'article traite du rôle d’assureur dommages puis dans un second temps, du rôle d’assureur en tant qu’investisseur et comment Carbon4 Finance peut aider les acteurs financiers en ce sens.

Quelques définitions des termes employés dans l’article 

  • Les “aléas climatiques” ou encore “évènements climatiques” sont définis par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (le GIEC) comme la survenance potentielle d'événements ou de tendances physiques liés au climat, susceptibles de causer des dommages et des pertes[3]. Ces phénomènes peuvent être des événements extrêmes ou des évolutions progressives, et l’ampleur de leur évolution dépendra des émissions futures de gaz à effet de serre (GES).
  • Les risques physiques associés au changement climatique résultent des impacts causés par les phénomènes météorologiques et climatiques dont la fréquence et l’intensité sont modifiées par le changement climatique. L'évaluation de ces risques repose sur trois facteurs :
  • L’assurabilité est définie comme ce qui peut être assuré, garanti par une compagnie d'assurance. Par conséquence, la “non-assurabilité” fait référence à ce qui ne peut pas être assuré.
  • Un sinistre se définit comme tout évènement ou dommage couvert par une garantie d’un contrat d’assurance, et dont la survenue engage l’obligation d’indemnisation de l’assureur : pour un véhicule, pour une habitation…
  • Une catastrophe naturelle est un événement (inondation, sécheresse, tremblement de terre, avalanche…) qui, par l'ampleur et le coût des dégâts causés par les seules forces de la nature, revêt un caractère catastrophique et nécessite une prise en charge particulière de la part des sociétés d'assurance[4].

Quels sont les impacts du changement climatique sur l'assurabilité

Parmi les périls assurés, il existe ainsi plusieurs aléas climatiques qui ont un impact direct sur l’assurabilité. Ils sont identifiés ainsi dans le rapport Langreney - Le Cozannet - Merad[5]

Quels sont les constats et tendances à venir pour les assurances ?

À l’échelle mondiale

Selon la Fondation pour l’Innovation Politique, entre 1970 et 2010, les catastrophes naturelles sont passées de 50 à 200 par an, soit une multiplication par 4. 

Parallèlement, le coût unitaire moyen des catastrophes naturelles en dollar constant a augmenté, passant de 0,5 milliard $ par catastrophe dans les années 1970 à 1 milliard $ en 2010. 

On observe ainsi que le coût des catastrophes naturelles augmente plus vite (multiplié par 8,8 entre 1970 et 2010) que le nombre de catastrophes naturelles (multiplié par 4 entre 1970 et 2010). Ainsi : 

  • 50 catastrophes naturelles en 1970 coûtaient 24 milliards de dollars
  • 200 catastrophes naturelles en 2010 coûtaient 211 milliards de dollars[7].

Les pertes économiques totales ont atteint 320 milliards de dollars en 2024, contre 286 milliards en 2023, soit une hausse de 19 %. En particulier :

  • Les aléas comme les tremblements de terre, ouragans, grêle, les inondations ou les incendies, ont causé des pertes totales de l'ordre de 140 milliards de dollars, dont environ 67 milliards seulement étaient assurés.
  • Les cyclones ont causé 135milliards de dollars de pertes, dont 52 milliards de dollars assurés (les cyclones Helene et Milton cumulent 41 milliards de dollars).
  • En Europe, les inondations à Valence, en Espagne, ont causé des pertes de 11 milliards de dollars, dont 4,2 milliards assurés.
  • Les incendies de Californie début 2025 s'annoncent déjà les plus coûteux de l'histoire de l'État.

Pour la France 

En France, le coût des sinistres climatiques s’est multiplié par trois depuis les années 1980, passant de 1 milliard d'euros par an à environ 3 milliards d'euros constants par an aujourd'hui.

Les projections à l'horizon 2050 sont alarmantes[8] :

  • +110 % d'augmentation des coûts pour les inondations
  • +130 % pour les crues

Le surcoût projeté pour 2050 en France est estimé à 23,8 milliards d'euros.

  • 17,2 milliards liés à la sécheresse,
  • 6,5 milliards aux submersions marines,
  • et 3,1 milliards aux inondations​.
Coûts des sinistres d'origine naturelle en France
Evolution des coûts des sinistres d'origine naturelle en France
Fédération Française de l'assurance

Les stratégies d’adaptation adoptées par les assurances

Face à l’augmentation des sinistres climatiques, les assureurs adoptent diverses stratégies. Cela passe par une mise à jour des stratégies actuelles via l’actuariat, par un désengagement de certains risques ou de certaines zones, par une augmentation des prix assurantiels. Si elles permettent à court terme de palier aux conséquences, ces solutions présentent de nombreux biais.

L’actuariat et ses limites

Selon le rapport “Peut-on assurer un monde qui s'effondre”[9], l’assurance, dont le modèle économique repose largement sur l’analyse des données passées pour projeter le futur, peine à intégrer les notions de rupture, de basculement ou d’inédit. L’actuariat s’appuie sur l’exploitation des statistiques observées dans les portefeuilles. Ainsi, tout bouleversement ou évolution qui ne trouve pas d’ancrage dans l’historique constitue un risque pour les assurances, pouvant conduire à une tarification inadaptée et/ou à une sous-estimation des provisions nécessaires pour honorer les engagements des assurances envers les assurés. Les assurances prennent progressivement conscience que les données passées ne suffisent plus pour anticiper l’avenir, même à moyen terme. 

Retrait des assurances de certaines zones et risques

À divers endroits du monde, un signal faible se manifeste : des compagnies d’assurance se retirent de la couverture de certains risques. 

  • C’est le cas dans les zones où le risque d’inondation est quasiment certain.
  • C’est également le cas aux États-Unis, où plusieurs compagnies ont choisi de ne plus assurer la Floride contre les inondations et la Californie contre les incendies de forêt ;
  • En Australie, où, en raison du risque d’élévation du niveau de la mer, aucun contrat d’assurance pour les biens immobiliers résidentiels ne couvre le risque de submersion ;
  • Ou encore en Italie et en Hongrie, où les risques sismiques sont parfois jugés inassurables.
  • En France aussi, ce phénomène est observable, notamment dans les DOM-TOM, où de nombreux assureurs se sont retirés, mais aussi en métropole, où, depuis une vingtaine d’années, l’assurance des forêts ne couvre plus certaines zones considérées comme trop risquées, en particulier sur le pourtour méditerranéen. Les assureurs se sont retirés de ces zones non pas parce qu’ils ont vu une sinistralité augmenter, mais parce que les coûts anticipés en cas de catastrophe seraient trop élevés pour être couverts[10]. Nous l’évoquions aussi dans un précédent article sur les collectivités territoriales[11].

Une hausse des primes d’assurances

Le risque est que les assureurs répercutent cette augmentation du risque sur les prix des assurances. Elle peut se traduire par : 

  • Une augmentation des primes d'assurance habitation
  • Une segmentation accrue : les assurés les plus exposés paient davantage, accentuant les inégalités
  • L’exploration de nouvelles sources de financements comme les obligations catastrophes. Les cat bonds sont des obligations à haut rendement émises par des assureurs ou des États pour transférer aux investisseurs le risque financier lié aux catastrophes naturelles, avec une perte potentielle de capital en cas de sinistre[12].

Selon les résultats du test de résistance climatique sur les assureurs 2023-2024 réalisé par l’ACPR auprès de 15 organismes d’assurance représentant 90% du marché français, et publiés en décembre 2024, on peut projeter : 

  • A court terme, soit en 2025, une augmentation des sinistres de 141% et une baisse de la solvabilité du marché.
  • A long terme, soit d’ici à 2050, une dépréciation des actifs jusqu'à -3,5% et une multiplication par 5 des zones touchées avec une augmentation des primes d’assurances jusqu'à 200%.

Les résultats du stress-test climatique mené par l'ACPR montrent que les assureurs sont fortement exposés aux risques physiques liés au changement climatique, avec une sinistralité en hausse et des pertes financières importantes. Face à ces menaces croissantes, il est essentiel que les assureurs intègrent ces risques en amont dans leur stratégie d’atténuation, plutôt que de se limiter à des mesures d’adaptation. 

Le rôle des assureurs en matière d’investissements responsables ?

En parallèle du rôle de l’assureur dommage qui intervient en aval des conséquences climatiques, les assureurs ont aussi leur rôle à jouer en amont, grâce à des stratégies d’investissements responsables (pour favoriser la transition).

Intégration proactive des risques climatiques dans la stratégie

Une approche proactive permettrait d’assurer une meilleure résilience du secteur. Cela implique :

  • Des investissements en direct dans des infrastructures et zones résilientes grâce à des données qualitatives et robustes. En effet, l’investissement responsable permet éviter d’assurer et d’investir dans des projets aggravant le changement climatique, avec de l’exclusion sectorielle par exemple.
  • Une coopération renforcée entre assureurs et les sociétés de gestion par délégation. En effet, les assureurs jouent un rôle important dans le choix de délégation de la gestion de leurs investissements. Ils peuvent choisir un gestionnaire d’actifs intégrant les risques extra-financiers (risque de transition, risque physique et impacts sur la biodiversité et ses dépendances notamment) et/ou insuffler des pratiques durables aux gestionnaires d’actifs choisis.
  • Une gouvernance interne renforcée pour inclure systématiquement le risque climatique dans les décisions stratégiques et un dialogue externe entre les divers les acteurs du secteur, notamment les pouvoirs publics et associations.

Carbon4 Finance possède 3 bases de données pouvant aider les acteurs financiers en ce sens :

  • Carbon Impact Analytics (CIA) pour les risques de transition,
  • Climate Risk Impact Screening (CRIS) pour les risques physiques,
  • Biodiversity Impact Analytics powered by the Global Biodiversity Score (BIA-GBS) pour les risques liés à l’érosion de la biodiversité, cette dernière étant codéveloppée avec CDC Biodiversité.

La méthode Climate Impact Analytics (CIA) évalue les risques de transition auxquels les entreprises, institutions et projets sont confrontés dans leur transition vers une économie à faible émission de carbone. Cette « approche bottom-up » analyse les actifs individuels à l'aide de données opérationnelles spécifiques à l'entreprise pour évaluer la performance carbone, en se concentrant sur les émissions directes et indirectes (y compris le scope 3 en amont et en aval). 

Elle mesure les émissionséconomisées et la contribution potentielle de l'entreprise à la transition climatique. L'approche fournit également une évaluation qualitative et « prospective » des stratégies de décarbonation, en proposant des indicateurs tels que le Carbon Impact Ratio (CIR) et une notation globale pour quantifier les risques et opportunités d'une entreprise en matière de climat. 

Enfin, la méthodologie fournit une mesure d'alignement de la température de 2 °C au niveau du portefeuille. La méthodologie couvre les entreprises, les institutions financières, les États, ainsi que des instruments spécifiques tels que les obligations vertes.

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Amélioration des outils de simulation et des données disponibles

Intégrer des scénarios climatiques plus précis et diversifiés pour mieux anticiper les impacts physiques des investissements sur le changement climatique et les prochaines catastrophes naturelles est primordial. 

La méthode CRIS (Climate Risk Impact Screening) permet aux assureurs de connaître le niveau de risque de leurs portefeuilles afin de pouvoir gérer le risque physique, le suivre dans le temps et engager un dialogue avec les entreprises sous-jacentes sur leur vulnérabilité au changement climatique. 

CRIS est basé sur un cadre d'analyse rigoureux et reconnu qui consiste en une évaluation des risques climatiques dans leur lieu d'opération (géographie) combinée à une évaluation de la vulnérabilité des activités de l'entreprise .

La méthodologie CRIS de Carbon4 Finance intègre 3 scénarios pour les 2 horizons temporels (2050 et 2100) :

  • Scénario à faibles émissions (« low »), inférieur à 3 °C en 2100, cohérent avec les scénarios RCP 4.5 et SRES B1 (les températures médianes augmentent régulièrement jusqu'en 2060, avant de se stabiliser jusqu'à la fin du siècle).
  • Scénario d'émissions moyennes (« moyen »), au-dessus de 3 °C en 2100, cohérent avec les scénarios RCP 6.0 et SRES A1B (les températures médianes augmentent considérablement tout au long du siècle).
  • Scénario à fortes émissions (« high »), au-dessus de 4 °C en 2100, cohérent avec les scénarios RCP 8.5 et SRES A2 (les températures médianes augmentent de manière drastique et constante jusqu'à la fin du siècle).

L'évolution des modèles assurantiels est un défi majeur dans un monde où les risques climatiques s’accélèrent et intensifient. La question de l’assurabilité et de l’anticipation demeure importante et va être amenée à prendre de plus en plus de place dans le débat public. Bien intégrer ces enjeux à ses stratégies d’atténuation et d’adaptation est une nécessité pour les assureurs.

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image inondation france

Conclusion

Face à l’augmentation des sinistres climatiques et aux défis croissants liés à la non-assurabilité de certains risques, le secteur de l’assurance doit repenser ses modèles économiques et intégrer pleinement les enjeux du changement climatique. 

Si l’adaptation reste indispensable, elle ne pourra suffire sans une véritable stratégie d’atténuation et une meilleure anticipation des risques sur le long terme. L’évolution du marché assurantiel, la collaboration avec les acteurs publics et privés, ainsi que l’innovation en matière de modélisation et d’investissement responsable seront déterminantes pour garantir la résilience du système assurantiel dans les décennies à venir.


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